Compteurs Linky,
leur installation forcée est-elle bien réglo?
Daniel
Roucous
Mardi, 21
Mars, 2017
Humanite.fr
"crédit
photo : Yann Deva",
Le mouvement
Stop Linky est-il hors la loi face au déploiement forcé des compteurs
communicants ? Entretien avec Blanche Magarinos-Rey, avocate spécialisée en
droit de l’environnement.
Ce mercredi
22 mars, 200 associations et collectifs locaux inter-associatifs Stop Linky-Gazpar et de nombreux élus locaux,
venus de toute la France, se rassemblent à partir de 11 heures 30 devant la
maison de la Radio à Paris.
Ce jour-là,
l’AMF (association des maires de France) y organise un grand oral des candidats
à l’élection du Président de la République.
De nombreux
autres rassemblements ont lieu en province.
Dans notre
enquête compteurs-linky-pourquoi-le-courant-a-du-mal-passer
? nous avons expliqué les raisons de la colère de nombreux
citoyens/usagers mais aussi des maires et des conseils municipaux. 344 communes
ont actuellement pris une délibération, un arrêté ou un moratoire pour
s’opposer à l’implantation de force par Enedis des compteurs Linky. Nombre
d’entre elles se sont retrouvées devant le tribunal administratif pour tout
simplement se préoccuper de l’impact des compteurs communicants sur la santé et
la vie privée de leurs concitoyens. On appelle cela le principe de précaution.
Ce mouvement
Stop Linky de citoyens et de municipalités contre tous les compteurs
communicants a-t-il légalement le droit de s’opposer à une décision
gouvernementale et de quels outils juridiques disposent-ils pour
cela ?
Nous avons
posé la question et d’autres à maître Blanche Magarinos-Rey, avocate au
barreau de Paris en droit de l’environnement qui a élaboré un kit juridique
destiné aux citoyens et aux élus pour faire valoir leur droit au refus de
compteurs communicants.
D’abord
pouvez-vous vous présenter et expliquer à nos lecteurs pourquoi avoir élaboré
un kit juridique ?
Blanche
Magarinos-Rey :
« Avocate au barreau de Paris en droit de l'environnement, j'ai créé un
cabinet d'avocats dédié aux acteurs de la société civile engagés dans la
défense de l'environnement et des droits humains. Concernant les compteurs
Linky, nous avons élaboré un kit juridique pour mettre le plus largement
possible à la disposition des personnes et des collectivités les armes
juridiques leur permettant de faire valoir leurs droits de manière autonome. Ce
kit est en libre accès sur notre site internet www.artemisia-lawyers.com ou directement sur http://refus.linky.gazpar.free.fr/Note-Linky-PARTICULIERS.pdf
Les
municipalités qui ont adopté une délibération ou un moratoire anti-Linky et
Gazpar doivent-elles faire voter une nouvelle délibération ou moratoire pour
éviter le tribunal administratif ?
« Les
municipalités qui se sont opposées à l'installation du compteur Linky et Gaspar
ont fait face à des recours en cascade contre leurs délibérations, lesquelles
avaient parfois été prises sans préparation préalable. Ces délibérations se
basaient pour la plupart sur les questions sanitaires que ces compteurs soulèvent
et les décisions des tribunaux administratives ont été très sévères à leur
encontre. C'est la raison pour laquelle une nouvelle démarche s'impose pour les
Communes. Nous avons donc proposé aux collectivités de nouvelles pistes, basées
sur l'atteinte à la protection des données personnelles par le nouveau compteur
et au domaine public des communes. Ces nouveaux actes pourront être contestés
devant le tribunal administratif mais les communes auront alors des arguments
plus forts à faire valoir. »
Que leur
conseillez-vous ?
« Nous
leur conseillons de se saisir des outils que nous avons mis à leur disposition
pour agir et faire valoir leurs droits (kit juridique NDLR).
Nous
conseillons aux maires de saisir la CNIL-Commission nationale
informatique et libertés d'une demande de vérification du
fonctionnement des compteurs au regard des dispositions de la loi Informatiques
et Libertés, car le fonctionnement des compteurs ne se conforme pas strictement
aux recommandations
CNIL_COMPTEURS_COMMUNICANTS
Simultanément,
nous proposons aux maires de suspendre par arrêté, au titre de leur pouvoir de
police de la tranquillité publique, le déploiement du compteur dans l'attente
du résultat des vérifications demandées.
Nous avons
aussi élaboré un modèle d'arrêté permettant aux maires, au titre de ses
pouvoirs d'exécution des lois, de réglementer l'implantation du compteur pour
garantir le respect des droits des personnes.
Nous
proposons enfin un modèle de délibération pour refuser le déclassement de
l'ancien compteur et forcer son maintien (*) »
Quelle
différence, disons juridique, entre délibération, arrêté, moratoire ?
« La
délibération est l'acte pris par le conseil municipal.
L'arrêté est
celui pris par le maire. Il y a une différence de forme. Au niveau d'une
commune, le code général des collectivités territoriales distribue les
compétences entre le maire et le conseil municipal. Par exemple, le conseil
municipal n'est pas compétent pour prendre une mesure de police qui relève des
pouvoirs du maire.
Le terme
moratoire se rapporte à un acte qui suspend l'application d'une réglementation.
Il s'agit d'un critère de fond et non de forme. Un moratoire peut donc prendre
la forme d'une délibération ou d'un arrêté. »
Un mot sur
la question de la propriété des compteurs. Appartiennent-ils ou pas aux communes ou
aux EPCI ?
« Le
texte de l'article L322-4 du code de l'énergie
précise qu'ils appartiennent "aux communes ou à leurs groupements",
ce qui tend à considérer qu'ils peuvent appartenir selon les cas, soit aux
communes, soit aux EPCI.
Un jugement
récent du Tribunal administratif de Rennes a ainsi admis qu'ils appartiennent à
l'EPCI. Mais cette décision n'a pas tenu compte de l'article L1321-1 du code général des
collectivités territoriales qui prévoit qu'en cas de transfert de
compétence à un EPCI, les biens permettant l'exercice de cette compétence sont
seulement "mis à disposition", sans transfert de propriété. En
application de ce texte, les compteurs devraient être considérés comme
propriété des communes. La question mérite donc encore d'être tranchée par une
juridiction supérieure. »
Et si elles
ont délégué leur exploitation et leur entretien à Enedis ou à un gestionnaire
du réseau ?
« Sur
ce point, la réponse est plus claire. La cour administrative d'appel
de Nancy dans un arrêt n° 13NC01303 du 12 mai 2014
a conclu que les compteurs, qui sont des biens du domaine concédé, ne sont pas
la propriété d'Enedis ou du gestionnaire de réseau, mais de la personne
publique concédante. »
La plupart
des délibérations ou moratoires avancent le principe de précaution pour
protéger les administrés notamment des ondes électromagnétique et de la vie
privée. Mais n’est-ce pas du ressort de l’Etat puisque c’est lui qui a
pris une loi pour installer des compteurs intelligents en application d’une
directive européenne ?
« L'Etat
est compétent pour décider des modalités propres à assurer la sécurité des
personnes ou la protection de leur vie privée.
Mais les
maires au titre de leur pouvoir de police peuvent aussi agir, en principe,
lorsqu'un péril imminent menace les populations (article L2212-2 du code
général des collectivités territoriales). Toutefois, en la matière, la
difficulté est d'établir l'imminence du péril. »
A propos de
la directive européenne du 13 juillet 2009, impose-t-elle vraiment la mise en
place de compteurs intelligents comme les décideurs l’affirment ?
La directive européenne du 13 juillet
2009 impose seulement "la participation active des
consommateurs au marché de la fourniture d'électricité" et les Etats
membres sont libres de fixer les moyens de cette participation active. Or il
faut savoir que les anciens compteurs répondent déjà à cet objectif. »
L’usager-client
peut-il s’opposer au changement de ses compteurs par un Linky puis un
Gazpar et sur quelle base légale ?
« La
lacune majeure du dispositif légal réglementant le déploiement de ces compteurs
est qu'il ne prévoit pas expressément le consentement des personnes. Il s'agit
pourtant d'un bouleversement technologique qui est aussi un choix de société
car ces compteurs ont vocation à permettre l'analyse précise, la captation et
la valorisation commerciale de nos habitudes de vie. Il serait choquant que les
individus soient par principe exclus de ce choix.
En principe,
les personnes ont la libre disposition des données collectées par ces compteurs
en application de l'article R341-5 du code de l'énergie
Ce principe
devrait fonder le droit des personnes à déterminer les modalités de
communication et de traitement de leurs données. Il s'agit du droit à
l'autodétermination des données personnelles que le Conseil d'Etat a, en
quelque sorte, déjà consacré.
Or, le
fonctionnement de ces compteurs ne respecte pas ce droit aujourd'hui, car le
système d'information d'Enedis censé le mettre en œuvre n'est pas opérationnel.
De plus, ce droit pourrait être exercé que par les seules personnes ayant accès
à Internet, ce qui n'est pas le cas de tous les usagers.
Dans ce
contexte et sur ce fondement, les usager-clients devraient pouvoir s'opposer à
l'installation de ce compteur. »
Est-il vrai
qu’en cas de refus le distributeur d’énergie peut lui couper l’électricité et
le gaz voire le taxer ?
« L'usager
et le distributeur d'énergie sont en relation contractuelle et les droits et
obligations de chacune des parties sont déterminés par ce contrat. Il faut donc
se reporter aux stipulations de chaque contrat pour vérifier les risques d'un
refus. Cependant, il existe un droit d’accès pour tous à l'électricité qu'il
convient de rappeler au distributeur s'il venait à user de menace de coupure
pour forcer l'implantation d'un compteur. »
Que
conseillez-vous aux usagers qui refusent de changer de compteurs, exemples
à l’appui ?
« Nous
avons mis à la disposition des particuliers plusieurs modèles de lettres
permettant de notifier formellement au gestionnaire du réseau un refus de
changement de compteur ou visant à mobiliser les municipalités contre
l'implantation irrégulière des compteurs.
Cependant,
ces démarches n'empêcheront pas le gestionnaire du réseau de déployer ces
compteurs, s'il y est déterminé. La seule solution est alors d'obtenir d'un
juge qu'il soit enjoint au gestionnaire de cesser ce déploiement.
Dans le cas
d'une personne électro-hypersensible, le Tribunal d'instance de Grenoble a
ainsi ordonné à un bailleur d'enjoindre au gestionnaire de ne pas installer de
compteur à cette personne en raison de son affection. Face à un conflit,
il ne faut pas craindre de saisir la justice pour le résoudre et s'en remettre
à sa décision. »
Votre
conclusion ?
« Le
déploiement des compteurs Linky sans le consentement des personnes est une
atteinte au droit des personnes de disposer de leurs données personnelles.
Il est
essentiel que les personnes ne laissent pas leurs habitudes de vie ou leur
comportement personnel être profilés et exploités sans leur consentement. C'est
un choix de société qu'il leur appartient de prendre et dont ils sont pour
l'instant scandaleusement exclus. »
Liens utiles
Le rapport
de l’ANSES en question
Enedis, le
gouvernement, l’AMF et disons les pro-Linky et autres compteurs communicants
s’appuient sur un rapport content/compteurs-communicants-des-risques-sanitaires-peu-probables
de la très officielle ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire) pour dire
et écrire dans les médias qu’il n’y a pas de danger ni de risque sanitaire dûs
aux ondes électromagnétiques.
Leur
argument est que ces compteurs utilisent la technologie du CPL (courant
porteur en ligne) et respectent les normes européennes quant au champ
électromagnétique.
Ce n’est pas
tout à fait ce que dit l’ANSES dans son rapport. Lisez-le et vous verrez
d’abord qu’elle ne dit pas qu’il n’y a pas de risque mais que « les
risques sanitaires sont peu probables ».
Ensuite elle
reconnaît que « ces compteurs communicants sont installés au moment où
les objets connectés se multiplient ainsi que la numérisation des services et
des infrastructures. »
(pensez qu'à
un moment donné vous allez vous retrouver avec trois compteurs communicants
(eau, électricité et gaz) chez-vous + tous les objets connectés !)
En
conséquence, l'ANSES recommande bien que « le développement des objets
connectés s’accompagne de normes techniques afin de ne pas exposer les
personnes »… aux ondes électromagnétiques.
Il convient
donc de nuancer le rapport de l’ANSES et d’appliquer ce qui est prévu par la
loi (ce que font les associations, les collectifs locaux et les municipalités
Stop Linky, Gazpar, Eau) : le principe de précaution.
Par
ailleurs, il n’est pas crié sur les toits l’alerte du CRIIREM - Centre de
recherche et d'information indépendant sur les rayonnements électromagnétiques
Selon lui,
« les mesures citées dans le dossier de l’ANSES sont incomplètes
puisqu’elles n’incluent pas les champs d’induction magnétique et les champs
électriques 50 hertz. »
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